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La nouvelle vie du « Plancher de Jeannot »

Est-ce pour préparer les visiteurs, et ainsi atténuer leur choc émotionnel ? Ou pour faire en sorte qu’ils perçoivent cette œuvre unique dans toutes ses dimensions, et pas essentiellement comme le témoignage des souffrances d’un malade psychiatrique, ce qu’ont affirmé beaucoup d’écrits jusqu’à présent ? Avant d’accéder à la pièce où est exposé, depuis le 11 septembre, Le Plancher de Jeannot, au Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA), à Paris, une première salle présente des documents et textes didactiques. Un sas qui permet de se familiariser avec l’œuvre tout juste restaurée, l’histoire de sa création (en 1971-1972) et celle de son auteur, Jean Crampilh-Broucaret (1939-1972).
Depuis sa découverte fortuite, en 1993, par un neuropsychiatre de Pau, le docteur Guy Roux, dans une ferme du Béarn, au moment de sa vente, ce parquet de chêne de 16 mètres carrés n’a cessé d’interpeller et de passionner. Gravé à la perceuse et au ciseau à bois, en deux sections, le texte de 67 lignes, écrit en lettres capitales, commence par : « La religion a inventé des machines à commander le cerveau des gens. » Il évoque aussi l’innocence de l’auteur (Jean) et sa sœur Paule : « Nous n’avons ni tué ni détruit ni porté du tort à autrui. »
Après avoir acquis l’objet, échangé contre un plancher neuf, le docteur Roux mena l’enquête localement pour reconstituer le (très lourd) parcours de Jean Crampilh-Broucaret et sa famille. Puis il promena le plancher dans des congrès de psychiatrie, pour le faire connaître à ses collègues. Rachetée par le laboratoire Bristol-Myers Squibb au début des années 2000, l’œuvre continua de voyager, avant d’être longtemps exposée (de 2007 à 2022) à la vue de tous, dans des caissons verticaux, rue Cabanis, à Paris, devant l’hôpital Sainte-Anne, suscitant des réactions contrastées et une abondante production littéraire et scientifique.
S’agit-il des délires d’un homme schizophrène resté reclus et sans soins (Jean Crampilh-Broucaret est mort à 33 ans, peu après avoir gravé le plancher de sa chambre) ? Est-ce une œuvre d’art brut – défini par Jean Dubuffet comme des « ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique » ? Après une longue restauration, doublée de travaux de recherche, Le Plancher de Jeannot est à nouveau accessible au public, dans sa position originelle, horizontale. La psychiatre Anne-Marie Dubois, responsable scientifique du MAHHSA et commissaire générale de l’exposition, et Dominique Viéville, historien de l’art monumental, qui ont participé aux recherches, appellent à la prudence quant à son interprétation.
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